De Lisbonne à Paris à pied, Binelde Hyrcan sème l’Angola partout où il passe

Ricardo VITA
5 min readOct 24, 2020

J’avais prévu de vous parler de tout à fait autre chose, mais j’ai tout changé quand Binelde Hyrcan m’a dit qu’il était déjà près de Tours. Car, par ces temps incertains où nous avons besoin de plus d’optimisme, de fraîcheur et où espérer devient une nécessité pour survivre, nous ne pouvons pas rater les bonnes opportunités. C’est aussi parce que je trouve incompréhensible que les médias en Angola, son pays d’origine, et en particulier TPA, la chaîne publique et la plus importante du pays, ne couvrent pas l’exploit de leur compatriote, qui a décidé de faire Lisbonne — Paris à pied. Mais comment ne pas parler de quelqu’un qui a décidé de marcher près de 2000 Km, en passant par le litoral et Saint-Jacques de Compostelle, et qui vit des expériences uniques ? C’est d’autant plus étonnant que la belle histoire de cet artiste plasticien de renommée internationale, qui fait déjà rayonner son pays au plus haut niveau mondial, est digne d’un journal télévisé! Et moi, je ne connais pas un Angolais ou un Africain qui ait relevé un tel défi. Donc, négliger cette initiative, c’est passer à côté d’une histoire humaine extraordinaire. Un citoyen d’un pays qui plante un arbre partout où il va pour lui rendre hommage est un merveilleux ambassadeur dont il faut parler! Par ailleurs, Binelde a décidé de dire à quiconque croisé sur son chemin que l’Angola ne se résumait pas à la malheureuse guerre civile qui lui colle à la peau ou à la corruption endémique dont elle souffre et encore moins à une misère toujours plus grande. Une telle ambition mérite d’être suivie avec admiration.

En fait, l’histoire de Binelde est universelle, elle dépasse l’Angola. C’est une histoire qui toucherait toute personne sensible qui a saisi la futilité du monde que nous avons créé. Elle parle de nous tous, de ce qui nous unit. Elle questionne notre humanité. Binelde s’est lancé le défi humain d’aller à la rencontre des gens et de la nature, en quittant Lisbonne le 20 juillet et en marchant 40 ou 50 km par jour, après que le confinement ait provoqué l’annulation de ses expositions, après avoir perdu des amis, emportés par le Covid-19, et après avoir été coincé à Lisbonne lorsque les frontières ont été fermées. Il a ainsi décidé de donner plus de sens à sa vie et il a choisi de marcher pour mieux philosopher. Aller à la rencontre de ce monde étrange qui nous condamne à nous replier sur nous-mêmes et à craindre de vivre la vie est pour lui aussi une manière d’ennoblir le nom souillé et déshonoré de son pays méconnu. Et l’être humain étant la matière principale qui nourrit son travail artistique, aller à sa rencontre pour l’embrasser et répandre l’amour partout où il va est sa façon de vivre et de partager la vie. Binelde marche en ce moment, il est en train de vivre la beauté intense des paysages que nous avons oubliés, il savoure les joies simples du quotidien comme prendre un bain dans une rivière, manger les fruits frais qu’il trouve dans les forêts, exprimer sa gratitude envers Mère Nature par la contemplation et boire une boisson chaude avec un nouvel ami. Il a décidé de fuir la vitesse, l’immédiateté qui nous aliènent dans nos vies modernes, et il a choisi de faire de sa solitude un peuplement de présences créatrices. Il est libre.

Binelde me raconte au fur et à mesure comment cette marche lui permet de voir le monde s’ouvrir à lui avec intensité. Nietzsche a dit qu’il faut marcher pour réfléchir, Binelde dit qu’il faut marcher pour retrouver l’authenticité perdue et ouvrir de nouvelles perspectives. Il vit une délivrance. Son pèlerinage est un défi humain, une expiation, une ascèse et un couronnement. Qu’il pleuve ou vente, il marchera et c’est ainsi qu’il se retrouve à chercher chaque soir, à partir de 18 heures, un endroit discret pour planter sa tente; dans la forêt ou dans le jardin d’un habitant bienveillant. C’est ainsi qu’il a dormi dans des granges, des ruines et dans un cimetière. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à aider une dame qui venait de percuter avec sa voiture un sanglier colossal qui traversait la route. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé dans un commissariat de police à rigoler avec des policiers qui ont même accepté de lui donner une cellule pour passer une nuit au chaud. C’est ainsi qu’il s’est vu se faire secourir par un prêtre lorsqu’il fut frappé par une fièvre violente à cause du froid et du mauvais temps pendant une nuit où la douleur lui faisait entendre la voix de sa mère l’appelant comme dans un rêve. C’est ainsi qu’il a rencontré un jeune Anglais riche devant un château dans un village, qu’il a d’abord pris pour un employé, qui lui a proposé de passer la nuit dans une suite présidentielle de son château, après avoir bu du champagne millésimé avec lui, sa compagne et ses amis et après que le généreux hôte l’a invité à faire un voyage avec lui à Hong Kong. C’est donc une pérégrination extraordinairement humaine, dans laquelle Binelde a même pu adoucir des gendarmes que des villageois avaient appelés en le voyant faire ses besoins dans le bois et à qui il a rétorqué ceci avec tendresse: « Et où vont les animaux pour faire leurs besoins? ». Et par les temps qui courent, comment ne pas se méfier d’un homme, noir et barbu de surcroit, qui arrive seul avec un gros sac à pied dans un village? Mais Binelde est bien décidé à marcher jusqu’à Paris, où il compte être dans 4 ou 5 jours. Et il continue également d’offrir des graines de baobab aux personnes qu’il rencontre pour qu’elles se souviennent de son pays, l’Angola, où cet arbre vieux et sage qui est né avec le monde est important.

La marche humaine de Binelde, son exercice spirituel m’ont profondément inspiré. Alors, pour prolonger et poursuivre cet élan de coeur, cette chaîne humaine qu’il nous propose, j’ai décidé d’aller le rejoindre, à quelques kilomètres de Paris, avec d’autres inspirés, pour qu’ensemble nous arrivions avec Binelde à Paris, sa destination finale. Parce que sa marche n’est pas seulement sa manière de se connecter avec le monde et les humains, en se débarrassant de nos masques sociaux et de nos rôles imposés. C’est une façon de nous connecter les uns avec les autres, avec toute l’humanité, c’est Ubuntu.

Vous pouvez suivre l’aventure de Binelde Hyrcan sur son compte Instagram: @bineldehyrcan

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Ricardo VITA

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