DMX a philosophé comme un chien et il restera une légende du rap

Ricardo VITA
7 min readApr 15, 2021

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Diogène de Sinope, le plus célèbre des philosophes cyniques de la Grèce antique, revendiquait le chien comme emblème philosophique et vivait comme un « chien royal ». DMX choisira également comme emblème le chien pour aboyer toute sa rage et se battra jusqu’à la mort pour exprimer sa quête du bonheur, dans la liberté, l’authenticité et la simplicité. Et dans l’impudeur. Tous deux étaient absolument obsédés par la noblesse canine pour exprimer leur anti-matérialisme et leur anticonformisme afin d’aboutir à la vraie nature humaine. Je doute que DMX ait eu le temps de s’intéresser à Diogène de Sinope. Mais, comme lui qui ignorait les tabous, qui allait jusqu’à se masturber sur la place publique et qui passait sa vie à provoquer ses contemporains pour les défier et les faire réagir, DMX grognait comme un chien pour toucher le monde et raconter sa souffrance à travers la musique. « Tout dans ma vie est béni par une malédiction », aimait-il souvent dire en larmes. Si la mort de DMX a vraiment touché le monde, en particulier le monde du hip-hop et ses pairs, c’est parce qu’il avait quelque chose. Il était unique et inimitable. Diogène faisait du théâtre, de la provocation calculée par goût du scandale, pour choquer et faire réfléchir la bonne conscience de ses contemporains, DMX était subversif intempestif mais sincère et authentique de bout en bout. Il ne pouvait pas faire semblant pour exprimer avec radicalité sa vision du monde, c’est pour cela qu’il avouait toutes ses faiblesses, comme dans sa célèbre chanson « What These Bitches Want » dans laquelle il dit vouloir essayer de se conformer à la norme de la monogamie, comme s’il ne voulait plus suivre les prophètes chrétiens polygames. Il était intense et immense.

Si Diogène considérait l’amour comme l’occupation des gens désœuvrés, parcourait les rues d’Athènes avec une lanterne allumée en plein jour et, pour trouver un humain vrai, bon et sage, il criait aux visages des gens « Je cherche un humain », DMX a recherché l’amour toute sa vie et et il l’a trouvé dans la loyauté de ses chiens. Comme Diogène, il a lui aussi compris que le chien avait des qualités qui manquaient aux humains. Il savait que la richesse et la gloire sont éphémères et qu’elles n’apportent ni bonheur ni grandeur. Il refusait alors le bling bling qui avait envahi le hip-hop un peu avant son succès, il misait tout sur son talent ce qui a changé la donne et rendu au rap ses lettres de noblesse. DMX voulait atteindre le bonheur en éliminant tous les soucis occasionnés par la fortune et la célébrité. Il s’est enraciné dans le principe de « naturalité », cher à Diogène, pour retrouver un mode de vie libre que nos sociétés ont perdu. « I wanted to be myself, I don’t want to be famous », a-t-il déclaré dans une interview télévisée. Swizz Beatz, son ami et producteur de ses chefs-d’œuvre les plus emblématiques, a déclaré dans une vidéo hommage que « DMX ne s’intéressait ni aux Rolex ni aux grosses berlines ». Il était intéressé à prier pour les autres, où qu’il soit; sur scène, en boîte de nuit ou à la télé. Pour Diogène, cette « naturalité » inspirée du chien rapproche de la divinité, ce qui explique peut-être aussi la forte spiritualité de DMX. Parce qu’il savait qu’il fallait se détourner des besoins créés par la culture, qui nous plongent dans la souffrance et l’asservissement, même si cette souffrance a fini par le tuer. Il raconte de façon envoûtante sa relation avec son dieu dans « Angel », extrait du troisième album « … And Then There Was X » (1999). Sa musique était une catharsis pour lui et ses supplications une demande de miséricorde et de l’espoir. Et l’amour qu’il réclamait constamment était une manière d’affirmer sa fragilité et sa grandeur. Il a déclaré en larmes dans une interview de 2020 avec Talib Kweli que « les gens pensent que parler de leurs problèmes est un signe de faiblesse alors qu’en fait c’est l’une des choses les plus courageuses à faire». Dans cette interview, il a également expliqué qu’une personne qu’il respectait et considérait comme un mentor, Ready Ron, l’avait initialement encouragé à rapper mais l’avait également fait fumer du crack à 14 ans. « Comment peut-on faire ça à un enfant? », il a demandé, tremblant d’émotion. « Un monstre était né. Ce monstre était né », a-t-il dit de lui-même. La vie de DMX était une lutte féroce entre sa musique et ses traumatismes, le rap était son salut mais la menace de destruction de drogue n’était jamais loin. « To live is to suffer », disait-il. Dans une autre émission de télévision, Iyanla Vanzant lui a demandé où était Dieu quand il prenait sa drogue et s’il ne voulait pas être « propre » et Lui abandonner complètement son corps. Pris de court, il a répondu « pourquoi? », avant d’ajouter « Dieu est juste à coté quand je prends ma drogue ».

Mais son désir d’être guéri était là. Il n’a pas arrêté de chercher à guérir les sombres circonstances de son enfance, qui ont eu un impact sur sa vie et influencé sa musique, répandant l’amour autour de lui. Il disait à tout le monde dans la douleur qu’ils pouvaient s’en tirer en se battant, comme lui, un ancien petit voyou, et il rappelait à tous les humains qu’ils n’étaient que de simples mortels. Il est vraiment née en 1998, l’année de mon baccalauréat, et il m’a accompagné jusqu’à la fin de mes études supérieures. Il a fait une éruption inattendue, c’était un séisme pour le hip-hop. Il m’a fait douter un instant de mon idole de l’époque, Tupac Shakur. Je me suis demandé s’il pouvait vraiment prendre sa place. J’ai résisté et j’ai décidé d’attendre la suite, sa confirmation, pour voir. J’avais déjà des centaines de CD, principalement du rap américain, grâce à mon ami Beto Bling, qui avait le don de les trouver je ne sais pas où pour me les vendre, et le talent brutal de DMX m’a surpris. Il m’a paru plus brut et torturé que Tupac, il avait une voix musclée, perturbatrice et déchirante, un charisme pur et une puissance choquante. Dans « Get at Me Dog », le premier single de « It’s Dark and Hell Is Hot », son premier album, on entendait déjà des aboiements menaçants et je me suis souvenu qu’il avait posé de façon magistrale dans « 4, 3, 2, 1 » de LL Cool J et dans « Money, Power & Respect » de The Lox, il avait déjà son côté sombre. Et il l’a confirmé avec la sortie de cet album, en mai de cette année, qui est considéré comme son chef-d’œuvre et un classique du hip-hop. Il y a beaucoup de tubes désormais cultes, comme « Ruff Ryders’ Anthem », dans lequel il chante « All I know is pain/All I feel is rain ». Dans « My life », chanson extraite de l’album « Grand Champ » (2003), dans laquelle il se présente sous son vrai nom, Earl Simmons, dès l’introduction le grognement du chien nous avertit avec une mélancholie gutturale à quel point DMX était attaché à sa liberté et à quel point il voulait atteindre la paix intérieure.

Ce n’était pas Tupac, c’était un autre géant, avec moins de poésie et une sincérité belle mais différente. J’ai confirmé que quelque chose en lui avait été brisée. C’était aussi un écorché vif. Mais la puissance de son humanité était aussi héroïque que celle de Tupac dans n’importe laquelle de ses chansons. Moins bling bling. Comme Tupac, lui aussi saura parler de la tragédie de la vie des Noirs aux États-Unis, qu’il a brillamment résumée dans le deuxième single, « Who We Be », de son quatrième album, « The Great Depression » (2001). Dans cette chanson, il ouvre un tiroir d’Histoire dans chaque substantif qu’il crie. « The bullshit, the drama, the guns, the armour, the city, the farmer, the babies, the mama…the drugs, the children, the thugs, the tears, the hugs, the love, the slugs, the funerals, the wakes, the churches, the coffins, the heartbroken mothers, it happens, too often (why?!) ». Être authentique pour DMX signifiait aussi avoir 17 enfants, avec plusieurs femmes, comme les prophètes chrétiens polygames, ce qui était l’une des raisons de ses problèmes avec la loi, pour cause des pensions alimentaires impayées. Ne s’intéressant pas vraiment à l’argent, il le dépensait avec ceux qu’il aimait dès qu’il le gagnait, cela lui a créé des dettes et des soucis avec le fisc. DMX est décédé le 9 avril 2021 à l’âge de 50 ans. Après avoir été un redoutable rappeur dans des battles au début des années 1990, il nous laisse un héritage de 7 albums studio, avec la marque d’un artiste hors pair, qui a été au sommet de son art entre 1998 et 2003. Il a vendu des millions de disques, a été nommé pour trois Grammy Awards et a été le premier musicien dont les cinq premiers albums ont atteint la première place du classement Billboard. Il nous laisse aussi quelques films. Bref, comme Diogène de Sinope, DMX a aussi été un chien qui a choisi la voie courte vers la philosophie, il s’est rapproché de la divinité.

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Ricardo VITA

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